La chute est un véritable problème au sein
des institutions pour personnes âgées. Bien que la chute semble
éloignée des préoccupations ordinaires de la pratique
psychomotrice en gériatrie, nous verrons un des rôles possibles
d'une telle pratique.
Après un bref rappel sur les causes et les conséquences
de la chute chez la personne âgée, une forme générale
de pratique sera exposée.
La balance tonique entre muscles agonistes et antagonistes
est moins fiable chez le sujet âgé.
La non utilisation des gestes provoque une perte des
automatismes et une moins bonne performance. "Ceci est directement applicable
aux automatismes d'équilibration et de marche du sujet âgé
"(Tavernier, 1992).
On note des déficits visuels liés au vieillissement:
Au niveau de l'équilibre, les sujets âgés présentent des oscillations antéro-postérieures significativement plus amples. On constate également un émoussement des réflexes dits "parachutes". Dans la normale, ces réflexes d'équilibration dynamique apparaissent lorsque l'axe du corps est au delà du 4e par rapport à la verticale. La réaction est le déplacement d'un quelconque segment des membres supérieurs ou inférieurs pour s'opposer à la chute. Dès lors, on rencontre des personnes âgées ayant des hématomes importants sur le visage parce qu'elles ne se sont pas protégées.
La marche est globalement moins performante chez la personne âgée. "Le vieillissement entraîne une diminution de la vitesse et de la longueur de l'enjambée et une augmentation de la durée du double appui. Celle-ci, cependant, semble due à la lenteur qu'au vieillissement lui-même" (Fernandez, 1995).
Le polygone de sustentation est élargi et les mouvements du bassin diminuent, les mouvements accompagnateurs des membres supérieurs sont réduits.
Selon Strudel(1987), l'explication du vieillissement de la marche fait appel "aux modifications de la commande frontale de la motricité extrapyramidale et au vieillissement du système nerveux périphérique prédominant sur les voies proprioceptives".
La chute peut être aussi le signe d'une acceptation passive d'une diminution inéluctable, l'image d'une disparition de motivation à vivre. Le fait de ne pas "se rattraper", de "ne pas se relever" est la marque d'un désintérêt pour ce corps qui ne convient plus au maintien d'une dignité personnelle.
Il est donc indispensable de cerner l'impact de la chute dans la trajectoire de vie du patient. Chaque patient est unique et ces différents types de chute ne sont que des points de repères.
La chute révèle souvent un autre corps. La personne prend douloureusement conscience qu'elle n'est plus en mesure de se relever par ses propres moyens (chute sans perte de connaissance). Souvent, cela vient s'ajouter aux autres failles liées au vieillissement ou à l'histoire du sujet.
Le schéma corporel dans son versant psychodynamique est perturbé. L'image subjective du corps comme lieu d'investissements psychiques semble subir le plus de préjudices (Seffert, 1987).
La chute peut représenter une rupture dans la vie de la personne et bouleverser son équilibre affectif. Elle serait assimilée à une perte "une de plus, une de trop" (Messy, 1992).
La chute révèle la perte d'autonomie jusque là tacite. Elle augmente l'effet de dépendance vis à vis de l'entourage qui a tendance à l'assistanat. La hantise d'une récidive pousse parfois la famille à adopter une décision radicale (hospitalisation ou institutionnalisation).
Enfin, Messy écrit: "Mais n'y a-t-il pas à repérer derrière une peur de tomber,par exemple, la métaphore de l'angoisse de mort inscrite dans l'échelle symbolique qui va de la chute à la tombe". Une patiente m'a dît une fois : "Je vais tomber. J'ai peur de tomber. Je n'ai pas envie de tomber". Elle reprendra quelques minutes plus tard : "Je vais mourir. J'ai peur de mourir. Je n'ai pas envie de mourir".
Souvent, la personne à terre s'épuise en vain d'efforts pour se relever et pour appeler de l'aide. Le fait de rester au sol longtemps réveille des angoisses de mort.
On comprend mieux la personne âgée qui se
protège et veut maîtriser inconsciemment l'approche de la
mort "le vieux se méfie du déséquilibre" (Messy, 1992).
Un trouble d'adaptation est fréquent après
une chute. Nous trouvons tous les degrés de la simple peur, à
la phobie, à la dépression.
Herfray (1988) a écrit: "se sentir confrontées au risque de ne pas pouvoir, éveillent en elles une profonde angoisse. Elles préfèrent alors renoncer à tenter de faire, plutôt que d'affronter le moindre risque de ne pas y arriver". L'inertie se manifeste par la réduction d'activité, par l'incapacité de faire des projets, à les réaliser. Le sentiment de faiblesse et de manque accompagne souvent cette inertie.
Le schéma corporel "destructuré par l'immobilité du fait de la perte du peu de repères kinesthésiques et proprioceptifs" (Verdoît, 1987). Le corps est une référence pour l'organisation spatiale "le corps change de statut, devient objet "quasi extérieur", "quasi autonome". Il est parfois complétement désinvesti (Djaoui, 1987).
Le chuteur restreint son espace de vie. Ainsi la sphère
sociale s'amenuise. Le coefficient d'adversité des
choses s'accroît: les distances sont plus
longues à parcourir, les escaliers plus durs à monter...
L'espace"domicile" est le seul sécurisant. La notion
d'écoulement du temps disparaît lorsqu'on ne s'écarte
pas de ses habitudes. Demain ressemble à aujourd'hui qui ressemble
à hier.
L'espace "bas" est particulièrement désinvesti.
"Les personnes âgées perçoivent le soi comme mauvais
objet loin et peu rassurant "(Lehmans, 980).
Alors que l'orientation dans l'espace ne semble pas altérée,
les notions telles que les distances, les vitesses, la réversibilité
des points de vue qui provient du corps en action semblent plus dégradées
chez les personnes qui ont chuté selon Setiert(1987).
Le surcroît d'activité peut être une
autre manière de réagir comme si la personne ignorait ou
déniait que son corps n'a plus autant de possibilités.
Le syndrome post-chute est une véritable sidération
des automatismes entraînant la perte plus ou moins complètes
des réactions d'adaptation. Il se caractérise:
La prévention primaire consiste à réduire le nombre de chutes dans la population âgée en proposant des activités physiques mettant en jeu l'équilibre, la marche et l'écoute de soi. Des activités de ce type peuvent être proposées en club du 3' âge, en maison de retraite, en foyer logement. Les psychomotriciens peuvent aussi apporter une information (sans dramatiser, bien sûr !!).
La prévention secondaire se situe lorsqu'il y a eu chute avec ou sans conséquence. En centre de gériatrie, l'objectif est de refaire marcher le patient le plus vite possible. Le psychomotricien essaiera de se situer en dehors de cette urgence. La séance de psychomotricité est un espace d'écoute car dans toute situation de chute, il y a toujours "quelque chose de l'ordre du traumatique à mentaliser." La patiente ne sera accompagnée dans sa recherche d'assurance et de reprise de confiance en soi.
La prévention tertiaire se présente en cas de récidives de chute (ou chutes à répétition). Il sera important de reprendre toute l'histoire de ses chutes et d'observer leurs répercussions.
Les items du bilan suivant ne sont que des propositions:
Le groupe permet d'observer les erreurs de l'autre, de trouver plus facilement une motivation, de moins dramatiser l'épisode dc chute.
La pratique exposée, ci-après, donne 5 points de repères. Le psychomotricien doit innover, imaginer en fonction du patient et de ses propres acquis.
La prise de conscience du corps (enveloppe, volume, respiratoire
profonde, sensations de contact du corps avec l'objet (basé sur
l'Eutonie), sensations plantaires..) et la prise de conscience du mouvement
(passivité, contraction/décontraction, économie du
geste, vitesse du mouvement...) permettent l'écoute de soi. La détente
assise ou couchée est indispensable entre les exercices les plus
intensifs. Cette détente peut devenir relaxation pour faciliter
la maîtrise des réactions tonico-émotionnelles liée
à l'appréhension de la chute.
La découverte de l'axe du corps est importante.
Par exemple, pour la notion de verticalité pendant l'équilibre.
L'apprivoisement
de l'espace antérieur et le passage assis-debout (voir animation)
peuvent suivre et participe à la diminution de l'appréhension
de la chute.
Les relevers du sol ne sont proposés que si les patients ont les possibitités motrices et qu'ils acceptent de le faire. Les relevers du sol sont amenés généralement progressivement en fonction des difficultés et appréhensions individuelles. Par exemple, une patiente se plaignait de douleur aux genoux. Elle n'avait pas d'incapacité. Elle appréhendait de se mettre àgenoux. Les exercices de flexion des membres inférieurs ont permis à cette patiente d'aborder les relevers du sol plus sereinement. L'enchaînement pour se relever peut-être décomposé en étapes. Le répéter permettra petit à petit une réalisation automatique qui demande moins de concentration sur les mouvements. L'adaptation du patient à des situations nouvelles sera alors plus facile : changement d'appuis pour se relever, sols et espaces différents, contexte non connu. Ces situations chercheront à se rapprocher des conditions de chute possible pour le patient. Tout un travail peut s'établir autour du relever du sol. Le but ultime étant la réassurance. Apprendre à se relever dans un contexte de sécurité permet la maîtrise d'une situation de chute traumatisante. La présence du psychomotricien à côté de la personne sur le tapis, ses aides manuelles ou verbales, son écoute, ses touchers d'apaisement, son engagement corporel sont autant de repères pour aider le patient à dépasser ses appréhensions. La chute entraîne souvent une mise en garde de l'entourage proche qui contribue à restreindre la motricité. La stratégie du psychomotricien, toute autre, est un accompagnement vers l'agir donc vers l'autonomie.
Le vieillissement entraîne des troubles d'équilibre
et de la marche comme nous l'avons vu précédemment. Donc
l'équilibre est travaillé, par exemple, à travers
ta recherche du polygone de sustentation adéquat, le transfert du
poids du corps d'un pied sur l'autre (inspiration Tai chi), la création
de déséquitibre ou encore les activités en station
debout (exemple lancer de balle).
La marche est sollicitée : différentes
marches, différents sols, avec musique... les arrêts, changements
de direction et les passages d'obstactes peuvent être aussi proposés.