Le bilan géronto-psychomoteur

Le bilan géronto-psychomoteur s'inscrit dans une véritable démarche clinique d'observation. Observer c'est être à l'écoute, respecter et examiner avec soin, tester et être testé et, surtout, se laisser imprégner de l'autre et faire écho en lui.
Pour cela, le bilan géronto-psychomoteur peut se composer de différents temps :

L'intégration nouvelle de la psychomotricité en gériatrie s'est accompagnée d'une révision et d'un enrichissement des outils d'évaluation et d'observation principalement axés sur les enfants.
Le bilan géronto-psychomoteur a donc été orienté et adapté en fonction : Son principal objectif semble être de mettre en valeur et de restituer à la personne âgée ses capacités à faire et à être, et non ses incapacités. Il n'est pas un produit de jugement, il ne se situe pas dans une échelle statistique de perfornances, dans un idéal à atteindre. Il définit la personne, son histoire et ses qualités.
En tant que moment privilégié et espace d'échanges, le bilan géronto-psychomoteur nécessite effectivement: Seule cette dualité semble être garante du respect des potentialités de la personne âgée à travers les attentes relationnelles de chacun. Il s'agit de bien rencontrer la personne âgée là où elle est, là où elle en est et là où elle nous mène.

Intérêts de la siluation de test

La mise en situation dc test, dès lors qu'elle est jugée possible et non préjudiciable au patient, comporte des avantages.

"L'outil bilan"

Tout psychomotricien exerçant en gériatrie dispose d'un certain nombre d'épreuves psychomotrices adaptables à cette population. Les tests choisis doivent présenter un réel intérêt pour la compréhension globale de la personne, compte tenu de son age, de ses conditions de vie et du sens de l'aide à proposer.
La personnalité du professionnel et ses années de pratique l'amènent bien souvent à construire son propre "outil bilan", qui lui sert de trame structurée et progressive, esquissant un cadre pour l'échange relationnel.

Objet intermédiaire

Demandée par le médecin, la passation de l'examen psychomoteur débouchera ou non sur un travail à plus long terme. Ce moment particulier permet une certaine sécurité relationnelle par le biais du jeu qui relativise les risques.
D'autre part, avant de s'engager et d'engager l'autre dans une relation thérapeutique sans menace d'abandon, le psychomotricien a besoin d'explorer l'ensemble des concepts psychomoteurs, tout en considérant ses propres attitudes.

Mise en évidence des capacités

La situation de test offre au sujet l'occasion de s'engager, de ne pas rester indifférent. Il pourra manifester son acceptation ou se donner la liberté de s'opposer. Plus que le résultat au test, ce sont les stratégies de réussite, d'échec ou de contournement, en un mot : la capacité à s'adapter, qui importe.
Ainsi on peut observer tour à tour: tendance à la soumission et à la passivité, désir de bien faire emprunt de séduction, ou encore impulsivité signant parfois un désir d'indépendance.
Il est à signaler que la personne vieillissante investit intellectuellement plutôt que physiquement les exercices demandés. Elle n'utilise pas le processus d'essais/erreurs courant chez les enfants mais cherche dans ses souvenirs pour répondre.
La confrontation à l'échec, Si commune dans la vie institutionnelle, ne s'avère pas forcément négative sous un regard bienveillant qui s'abstient de juger. La verbalisation des difficultés peut au contraire aider à les admettre. L'examen psychomoteur apporte aussi des informations sur le niveau de compréhension des consignes et sur la marge que le patient s'accorde face à une consigne stricte, moins stricte ou libre. La patience et la capacité de fixer et maintenir son attention sont grandement sollicitées.

Aspect quantitatif et réévaluations

Les tentatives de cotation chiffrée, retraçant l'état psychomoteur global actuel de la personne, semblent présenter l'avantage de points de comparaison à différentes étapes de la prise en charge.
Mais la réévaluation au moyen d'épreuves chez le sujet âgé est toujours délicate; elle doit avoir pour but de pointer des éléments de "progrès" aux yeux de la personne elle-même et de l'équipe soignante.
Il est inopportun et parfois "lourd" de conséquences de vouloir à tout prix objectiver l'avancée dans la maladie, en faisant apparaître de nouveaux éléments déficitaires. La révélation "positive" est aussi envisageable sous la forme d'un test unique et adapté, comme le dessin du bonhomme.

Adaptation nécessaire et intérêt des tests chez la personne âgée

Puisque les tests psychomoteurs sont essentiellement conçus pour les enfants, leur adaptation reste nécessaire pour répondre aux besoins, demandes et capacités des personnes âgées.
Ceci implique une réflexion sur: Ainsi, nous avons sélectionné certains tests nous paraissant significatifs et valorisant des domaines géronto-psychomoteurs importants comme : Le tableau suivant permet plus simplement de répertorier ces tests avec leur titre, leur population initiale et les observations intéressantes en gériatrie.
 
 
Tests et intérêt en géronto-psychomotricité
Population initiale
Epreuves
Observations en géronto-psychomotricité
Test de Head - "Main-oeil-oreille"
Enfants de 6 à 14 ans pour dyslexie ou insuffisance intellectuelle Reproduction de mouvements
simples sur:
  • imitation
  • ordre oral
  • dessins
  • Conscience du corps comme premier repère spatial et face au corps de l'autre
  • Conservation des repères spatiaux et latéralité
  • Capacités d'imitation et de différenciation
  • Passages du corps agi à une représentation corporelle transposable (réversibilité)
  • Organisation autour de l'axe du corps 
Tests de Bergès - "Test d'imitation de gestes"
Enfants de 3 à 8 ans Imitation de gestes :
  •  simples avec les mains, doigts, et  bras
  •  complexes et contraires
  • Capacité d'orientation corporelle dans différents plans, directions et par rapport à autrui
  • Schéma corporel
  • Praxies idéomotrices
  • Capacités cognitives de réversibilité
  • Organisation perceptivo-motrice
  • Engagement du corps dans l'action
Tests de Goodenough - "Test du bonhomme"
Dès l'âge de 3 ans pour  troubles du schéma corporel et affectifs Dessin d'un bonhomme avec un crayon de papier
  • Connaissance et représentàtion graphique des différentes parties du corps
  • Engagement affectif par rapport au corps
  • Représentation de son image et de son espace intérieur
  • Investissement de l'espace de la feuille
  • Respect des proportions, importance donnée aux détails
  • Application et méticulosité
  • Graphisme, tenue du crayon et qualité du tracé
Tests de Stambak - "Epreuves de structures rythmiques"
Enfants de 5 à 14 ans pour dyslexie et débilité psycho-motrice
  • Tempo spontané
  • Reproduction de structures rythmiques frappées et dessinées
  • Mémoire auditive et gnosie
  • Reflet d'un rythme individuel
  • Engagement et impulsivité dans son aspect kinétique
  • Organisation perceptivo-motrice
  • Structuration temporelle
  • Conservation de la durée et alternance du rythme Compréhension du symbolisme
Tests de Soubiran - "Adaptation au rythme"
  • Rythme frappé
  • Rythme marché
  • Adaptation et continuité d'un rythme frappé
  • Adaptation et conservation d'un rythme
  • Modifications toniques et réactions de prestance 
  • Accélération et ralentissement d'un rythme
  • Impulsivité ou inhibition
Tests de Santucci - "Epreuve graphique d'organisation perceptive"
Enfants de 4 à 6 ans pour retard du langage et de l'apprentissage Copie de figures géométriques sélectionnées
  • Conservation des orientations et rapports spatiaux (croisement, angle, superposition)
  • Investissement et structuration d'un espace
  • Graphisme, tenue d'un crayon et harmonie du tracé
  • Mise en évidence des praxies constructives (phénomène d'accolement au modèle ou closing in)
Tests de Bergès - "Epreuve de l'initiative"
  • Maintien d'une position inconfortable 
  • Flexion/extension du coude
  • Capacité de décontraction musculaire volontaire (paratonie)
  • Observation de persévération et/ou d'anticipation 
  • Observation de modifications toniques et de réaction tonico-émotionnelles

 

Limites de la siluation de test

La conjoncture économique actuelle entraîne une tendance à multiplier les évaluations, y compris dans le domaine de ta santé. Il nous semble indispensable d'émettre des réserves afin de rester garants d'un soin de qualité respectant le patient âgé.

Contre indications

Il existe des contre indications d'une part à mettre un patient en situation de test, d'autre part à poursuivre un examen psychomoteur déjà commencé.
Avant l'examen psychomoteur, la situation de test est d'emblée à éviter dans les cas suivants Au cours de l'examen, l'opposition à la situation de test se manifeste de façon passive (repli, inaction) ou active (refus exprimé, fuite réelle ou refuge dans la logorrhée). Confronté à ses limites ou à une impression d'infantilisation, le patient risque de développer un vécu persécutif préjudiciable à l'installation de la confiance envers le thérapeute. La difficulté rencontrée devra être nommée et dédramatisée, le thérapeute mettant alors tout en oeuvre pour sécuriser la personne et permettre la continuité du bilan dans un autre registre.

Limites et sens de l'évolution face aux personnes âgées démentes

La situation de test nous confronte aussi très vite à des limites, notamment avec des personnages âgées présentant un syndrome démentiel. Le test reste-t-il un bon outil quand se présente à nous une personne âgée démente avec de nombreuses demandes telle que la sollicitation pour une écoute attentive d'une souffrance personnelle, le désir de partager un senti, vécu corporel, le désir de s'effacer ou au contraire de trouver une place, le déni des difficultés, l'incompréhension de la situation de test ou des consignes de test, l'émergence d'une angoisse de mort envahissante et prégnante ? Il s'agit toujours de réfléchir sur les premières motivations du thérapeute et sur les besoins essentiels de ces personnes qui semblent soit vivre dans l'instant, soit rejouer des situations anciennes et mobilisatrices émotionnellement.
Ces test nous apparaissent alors comme inadaptés, impossibles à réaliser, voir dénués de sens pour la personne et le thérapeute. Reconnaitre la personne comme sujet et comme acteur, c'est recevoir ce qu'elle nous donne à voir et non lui imposer une situation difficile à gérer. Selon Ploton (1990), l'expérience nous apprend que la situation de test induit souvent un verrouillage psychologique chez la personne âgée démente. Cette situation ne permet pas à la personne de se définir psychiquement et d'établir une relation de confiance.
Les tests peuvent devenir lieu dc contre performances et, surtout, ne nous renseignent jamais sur la manière d'être et de faire de la personne dans sa vie et les situations quotidiennes (conservation des rites sociaux par exemple).
L'observation clinique semble alors plus adaptée mais demande une plus grande implication corporelle et relationnelle du thérapeute.

Le regard clinique du psychomotricien. L'observation du patient

L'approche du patient est progressive comme une avancée, un "zoom" qui saisit la globalité des éléments d'une situation avant de se rapprocher sans être vu. Ensuite nous nous saisissons du mode d'entrée relationnelle utilisé par le patient et nous captons les détails qui signent la personne dans sa spécificité. Parallèlement, nous sommes attentifs à noter les mouvements qui nous arrivent au moment de la rencontre. En effet, nous cherchons ici une démarche progressive et holistique visant une approche multidimensionnelle de "l'être corps".
Le tableau suivant semble plus approprié pour visualiser cette démarche d'observation du patient au loin, dans l'interaction avec lui même, les autres et le thérapeute.
 
 
Démarche clinique d'observations en gèronto-psychomotricité
OBSERVATIONS "AU LOIN"
OBSERVATION "RAPPROCHEES"
OBSERVATIONS AU PREMIER CONTACT
Ambiance:

Luminosité des lieux

Rythme global

Calme ou agitation

Présence de couleurs, d'odeurs..

Aménagement de l'espace

Personnalisation des lieux

Occupation des lieux

Liberté de circulation
 

Place du patient par rapport aux autres

Niveau de vigilance, attention portée a l'environnement

Mélodie kinétique et rythme spontané

Tonus global, posture, mobilité du corps, utilisation des points d'appui, précision des gestes

Déplacement, investissement de l'espace Niveau, rythme, amplitude de la respiration

Besoin de maintenir un contact avec son corps

Relation aux objets (voire un objet transitionnel)

Présence d'émission sonore accompagnant ou non le mouvement

Expression du visage et mobilité du regard Sensibilité aux stimulations

Appétence aux relations et efforts fournis pour mobiliser l'attention d'autrui
 

Moment de perception de notre présence:

- modification de vigilance
- mouvement de retrait
- modifications toniques et  modifications de l'expression du visage
- modification de la respiration, de la couleur de la peau.

Mode d'entrée en relation :

- présence d'anxiété et de séduction
- mode de présentation et valorisation de soi (corporel et verbal)
- expression d'une demande et/ou d'une plainte

Qualité de présence :

- capacités sensorielles
- capacités d'adaptation
- disponibilité et concentration
- tolérance au silence
- tolérance et qualité du contact physique

Qualité du dialogue tonique :

- distance interpersonnelle
- recherche de confort et de détente
- rythme et modulation de la voix
- réactions de prestance

Rapport entre expression corporelle et verbale

Vécu de la séparation.
 

Regard sur le thérapeute

Notre implication personnelle

Lors du bilan psychomoteur, la relation qui s'établit n'est pas à sens unique. Il ne s'agit pas seulement du corps du patient évoluant sous le regard du psychomotricien mais également du corps du thérapeute présent, référence et lieu d'identification, en mouvement vers la personne. Le psychomotricien est présent à l'autre au travers de sa voix, son regard, ses attitudes, ses émotions, son écoute et son observation. En portant attention aux signaux non verbaux qu'il est en train d'émettre, le thérapeute peut évaluer la juste distance favorisant la mise en place et l'évolution d'un dialogue tonique de qualité avec la personne âgée. Sa vigilance et sa disponibilité l'aident à prendre en compte les sensations, les événements corporels que provoquent en lui la situation d'échange avec le patient. En ne se coupant pas de son expérience immédiate, le thérapeute cherche à mettre en oeuvre ses capacités d'empathie.

I 'empathie, les impressions

L'empathie est la capacité à partager temporairement l'expérience subjective de l'autre, sans perdre ses limites propres, sa place et son identité. Elle vise la compréhension du fonctionnement de l'autre. Elle concerne, en particulier, les émotions (joie, peur, détresse) qui se traduisent dans le corps du patient et qui vont faire d'autant plus écho dans le corps du psychomotricien qu'il est sensibilisé à cette écoute non verbale. L'empathie trouve d'ailleurs son origine dans les rapports non verbaux entre la mère et son enfant, tout comme le dialogue tonique sur lequel il semble qu'elle s'appuie. Pour Rogers, l'empathie n'existe que dans le cadre d'une relation humaine authentique, où le patient n'est ni objet de connaissance, ni objet d'action.
Lors du bilan psychomoteur, le thérapeute se situe donc en tant que sujet par rapport à un autre sujet. Grâce à sa fonction de miroir, il tente par ses paroles et/ou sa manière d'être de communiquer à l'autre ce qu'il pense avoir compris: ce que le patient cherche à exprimer et ce qui est en train de se jouer. L'empathie nécessite chez le thérapeute une aptitude à se laisser imprégner du dehors vers le dedans. Pour Bourger (1995): "Les expériences et le vécu émotionnel des deux protagonistes, patient et psychomotricien, sont imprimés dans leurs corps depuis leur origine et s'expriment de façon interactive".

La personne agée, riche d'une longue histoire relationnelle, va livrer à l'autre une énigme, somme complexe d'empreintes accumulées. C'est l'impression dominante qui nous renseigne sur l'état actuel de son image. L'attitude d'impression met en jeu la vision, l'audition, le toucher voire même l'odorat de l'observateur. Elle permet de saisir une dynamique qui s' inscrit dans l'éprouvé corporel du psychomotricien. Celui-ci reçoit donc en dépôt quelque chose de l'autre qu'il perçoit d'abord en fonction de ses propres références internes, puis qu'il objective grâce à l'insight. Le thérapeute garde également à l'esprit que ce qu'il est, ce qu'il représente, ainsi que le lieu où se déroule le bilan psychomoteur impriment aussi le patient et influencent son comportement.

Projection possible dons un projet thérapeutique

Pour se projeter dans un avenir avec le patient, se crée soit une aire transitionnelle (si la personne s'imagine un futur) soit une aire d'illusion (si elle vit dans le présent ou Si elle est envahiç par son passé). Le psychomotricien se prépare à la frustration sachant que le projet ne s'inscrit pas toujours dans une dynamique gratifiante d'évolution. Le bilan psychomoteur ne débouche pas forcément sur un projet de thérapie psychomotrice. Entrent en ligne de compte les attentes du patient, celles du thérapeute ainsi que ses résistances. L'alliance thérapeutique se fonde sur les modes de relation choisis par le patient et repris par le thérapeute.

Partage des regards

Selon le contexte du service, son organisation et le temps de notre présence au sein de l'institution, nous rencontrons plus ou moins de difficuItés à rassembler des éléments qui concernent le patient. Aussi l'organisation de réunions régulières permet de façon significative de créer la cohésion des démarches complémentaires. Aucun sens ne peut advenir de notre démarche si nous ne confrontons pas la représentation que nous avons du patient avec celle d'autres soignants. C'est de cette représentation sans cesse interrogée et remaniée que dépend notre capacité à restituer au patient une image de lui contenante, soutenante et la plus complète possible. Une sorte de holding institutionnel s'établit permettant à chacun de poser une intervention spécifique qui fait sens car intégrée dans un projet institutionnel. Ainsi la personne n'est pas fixée par nos regard mais accompagnée dans son évolution par la labilité de nos représentations

Conclusion

Notre propos, ici, est de sortir résolument de la dualité qui opposerait partisans et détracteurs des tests auprès des patients âgés. Le bilan géronto-psychomoteur représente un pilier de notre pratique professionnelle et apporte sa pierre significative à la compréhension globale de la personne. L'essentiel de la démarche consiste à entrouvrir un espace où le corps symptôme puisse faire sens le temps d'une rencontre.

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