A la rencontre de la personne démente


 

ABORD ET THERAPIE PSYCHOMOTRICE AVEC UN PATIENT AGE DIT DEMENT:

 

Sabine Garufi –Hoeltzel Psychomotricienne à l’hôpital Charles Foix (APHP  Ivry sur Seine)

 

L'ABORD DE LA PERSONNE DITE DEMENTE.

 

Un scénario hypothétique issu de l'observation clinique

 

Dans un couloir nous déambulons seul, avec en tête des gens aimés qui ne sont plus là.

Nos genoux nous font mal et cela ralentit notre démarche: il faut continuer.

Derrière quelqu'un se rapproche rapidement et nous dépasse sans un regard: dommage!

La fatigue est là: rien pour s'asseoir, cela devient dur. Il n’y a personne en vue. Qu'est ce que nous faisons là? Nous ne pouvons compter sur aucun appui d'aucune sorte. Finalement sommes nous réduits à rien?

Ce manque de possibilité de partager ce qui est ressenti, amène la personne perdue à un vécu proche de l'aliénation.

 

Quelques repères théoriques

 

L’équilibre psychomoteur peut se définir comme le lien qui s’établit entre soi,  l’environnement et les autres. Cette idée a été développée par De Ajuriaguerra et récemment exprimée par Ponton (2001). Le lien à soi même constitue la base de l’intégrité psychomotrice. Cette relation à soi donne la capacité de prendre soin de soi.

Précisons ; La définition de cette intégrité psychomotrice peut se résumer ainsi : je sens, je perçois, je me représente, je planifie mon action, je décide d’agir, j’agis.

La rencontre avec des personnes perdues m'a confirmée que pour elles ce lien à soi est impossible: la personne perdue sent et exprime corporellement qu'elle est inconfortable: déambulations, agressivité.....troubles du comportement divers. Souvent elle ne peut pas se représenter ce qui la soulagerait et encore moins planifier son action puis agir. L’action a, là, valeur « d’appel à l’aide » afin qu’une autre personne puisse dérouler le reste des séquences manquantes. C’est là que notre aînée perdue trouvera le confort dans le soulagement de ses besoins élémentaires.

 

Spécificité de la rencontre psychomotrice: l'accordage tonique

 

Selon les études cognitivo-comportementales: 80 pour cent de la relation passe par l'interprétation des messages  non verbaux que l'on reçoit. La personne qui n'a plus les mots pour le dire utilisera son expression corporelle pour se faire entendre. Sa mémoire corporelle reste ce qui est le plus longtemps intègre.

Les psychomotriciens que nous sommes peuvent trouver l'accordage tonique qui correspondrait le mieux au climat émotionnel de ces aînés perdus: La personne lit dans notre regard l’attention indéfectible que nous lui accordons. « Elle peut ressentir  la confiance que nous avons dans ses possibilités. » Winnicott.

Je constate dans ma clinique: si elle parvient à intégrer le sentiment de ses compétences, elle pourra envisager de  nouvelles perspectives de vie.

 

Le sentiment de son identité

 

Andrée fuit les miroirs. D'ailleurs elle est toujours en partance. Il est vrai qu'ici (à l’hôpital) elle ne se sent pas chez elle.  En plus elle ne se sent pas acceptée par les autres: sa déambulation dérange.

Elle dit « il ne faut pas s'écouter sinon c'est fini ».  Lise (ma stagiaire de 3ème année) et moi valorisons son tempo rapide. Joyeuse soudain elle nous répond avec entrain : « J'ai toujours été dynamique, donc je n'ai pas changé !»

 

Andrée a retrouvé en un instant le lien avec ce qu'elle a toujours été. Elle se ressent être la même qu'avant: elle a retrouvé à ce moment là le sentiment de son identité.

 

 Voici des paroles de personnes dites démentes dans leur lien à elle-même :         

                                                        

·        Manquer de mémoire  permet aussi d'oublier ceux qui  viennent à manquer.

·        Pourtant des souvenirs s'imposent à moi….qu’est ce que je peux en faire ?

·        Quand je vois ce que je suis devenue....je ne me retrouve plus!

·        « Vivre pour quoi faire? »

 

L'institution: un contenant ?

 

L'institution propose aussi des appuis dans les rythmes qu'elle instaure. Par exemple le rythme de la journée avec des temps bien différenciés ; ou encore la stabilité des mêmes soignants repérés les mêmes jours par le patient qui finit par anticiper leurs venues.

Malheureusement certaines institutions démunies ne peuvent pas insuffler cette dynamique. Elles manquent de projets institutionnels ou de moyens financiers. Parfois les soignants sont obligés de changer de secteur tous les jours, ainsi ils ne peuvent plus investir les patients et prendre du plaisir à travailler dans de bonnes conditions. Leur découragement est alors palpable. De son côté la personne en perte d'appuis en  trouve dans les souvenirs de son «chez soi »  d'autrefois.

Ce souvenir est une sensation familière qui lui permet de pallier à l'angoisse de se sentir complètement perdue (se référer à Andrée) La perte des liens affectifs, support du sens de la trajectoire de vie, demande encore de l'énergie; la personne peut alors exprimer: «  je perds la tête, je suis fatiguée de penser, je préfère ne plus penser »

 

L'institution qui va mal est guettée elle aussi par cette tentation de ne plus penser (panser) ses pensionnaires. Elle met alors en place des moyens de défense efficaces : je prends pour exemple  la télévision  allumée toute la journée pour combler le silence qui  pourrait s’installer dans la salle à manger.

 

Voici des paroles de personnes dites démentes dans le lien aux autres

 

·        J'espère que c'est Colette qui viendra faire ma toilette ce matin: elle est douce.

·        Je veux aller chez moi: on m'attend

·        Je l'aimais : il est mort

·        Laissez- moi tranquille

·        Elle me regarde comme si je ne suis « rien ».

 

Autre exemple : actuellement beaucoup d'hôpitaux engagent des professeurs de gymnastiques pour maintenir l'autonomie des personnes âgées et parfois l'équipe épuisée a ce genre de raisonnement : « si elle va au groupe de gymnastique elle va se dépenser cela va éviter qu'elle déambule ici ! »

 

Pourtant naguère Ginette 80 ans était installée au coin du feu avec « Chabanou» son chat, elle regardait par la fenêtre se nourrissant des allées et venues des jeunes actifs. Personne n’aurait pensé à la mettre au groupe gymnastique !

Alors qu’en 2010: Louise 80 ans se fait houspiller par une jeunette de 20 ans qui « estime » qu'elle ne fait pas assez d'efforts pour marcher. Je me demande si quand la personne marche, nous sommes rassurés qu’elle fonctionne toujours : elle bouge sans être figée dans la mort?  Pour aller plus loin le Docteur Boiffin, A  fut mon chef de service de 1993 à 2000, dans le cadre de nos formations  à L'hôpital C Foix.  Il développa  un lien entre le mythe de Persée et notre attitude face aux personnes âgées immobiles. Pour lui nous pouvons avoir peur en croisant leur regard, d'être littéralement statufié.

Rappelons brièvement l'élément de ce mythe: Persée rencontra la Gorgone : «Méduse» il devait lui couper la tête avant que son regard ne croise le sien. Sinon Méduse le transformerait immédiatement en statue !

 

Pour moi les personnes âgées ont un bilan de vie à faire qui leur prend beaucoup d'énergie d’où leur immobilité qui nous renvoie à nos peurs de vieillir et de leurs ressembler.

En réalité leur énergie psychique est bien plus puissante que la nôtre, elles ont affronté nombre de séparations et d'épreuves. Peut être percevons nous intuitivement l'énormité de la tâche qui leur revient : nous ne nous y voyons pas. 

En effet nous n'avons peut être pas les moyens d'affronter ces angoisses là  maintenant : la jeunesse est notre limite. Il se peut que nous soyons prêts quand le temps viendra.

 

SPECIFICITE DU TRAVAIL PSYCHOMOTEUR POUR CETTE POPULATION

 

L'établissement du cadre thérapeutique

 

Le  lieu de la rencontre : il est défini par le lieu que le patient investit le mieux.

Sa chambre peut être investie comme un contenant suffisamment rassurant. Cela peut convenir aux premières séances. Dès que  le contenant corporel est intégré comme soutenant (par nos bons soins). Il est fort possible que la salle de psychomotricité soit investie comme  un lieu rassurant.

 

Le contenu et la gestion de la fin de séance

 

Le contenu ritualisé de la séance peut participer à l'anticipation de la fin de séance parfois anxiogène pour la personne.

La construction d'un objet en séance ou un exercice que l'on pourrait lui demander de pratiquer en dehors de nos rencontres fait fonction d'aide à la séparation.

Ainsi le lien perdure même entre les séances. Le patient y est très sensible.

 

L’accordage tonique et affectif  avec la personne dite «déambulante»

 

Le plus difficile est de se relier à elle. Sa désespérance a atteint des sommets, le sens de sa trajectoire n'a plus d'importance, elle est déjà dans un processus que rien n'arrête.

L'imitation tombe sous le sens: au même tempo, nous observons sa démarche, le niveau de sa respiration, cherchons à accrocher son regard.

La parole comme  une enveloppe sonore vient compléter cette approche.

Il me semble que le plus important est de suivre son intuition relationnelle: s'écouter dans ses ressentis et dans le sens que prend la démarche de l'autre. Au sens de  Stern il s’agit d’établir  dans un climat affectif chaleureux un accordage tonique et affectif sur lequel la personne peut compter.

Quand le lien de confiance sera établi, la prise de pauses sera entendue comme possible et peut être plus tard initiée par le patient.

Nous pouvons utiliser l’extérieur et créer de véritables parcours psychomoteurs dans le parc ou le jardin institutionnel.

Là pleins de jeux psychomoteurs sont possibles : changements de direction, marcher en arrière, sur le côté, changements de niveaux dans l’espace……

Le travail sur la fatigabilité peut s’initier par la prise de pauses incitées par nous puis initiées par le patient.

Enfin la prise d’initiative va pouvoir être encouragée.

 

Etablir le contact avec une personne  dite « allongée tout le temps »

 

L'entrée dans la chambre se fait si le patient donne son accord à notre venue.

Souvent, c’est le silence que nous recevons, après avoir frappé à sa porte. Que faire? Sinon entendre à quel point le patient s'est renfermé et donc souffre. Avant de nous approcher du patient, observons l'environnement, il est possible qu'en plein jour la lumière soit allumée et les volets fermés. Proposons lui d'agir sur l'environnement, ainsi ne se sentant pas observé, il peut appliquer sa capacité d’attention à s'investir dans son propre confort.

 Après, le contact sera déjà plus facile à établir.

Si le patient ne répond pas à nos propositions, nous devons mettre notre énergie à l'investir. Lui faire comprendre que sa situation ne nous laisse pas indifférent.  Là encore la disponibilité tonique et du regard va être perçue, ainsi que notre façon de chercher à comprendre sa difficulté.

Notre regard est le miroir de la qualité de notre investissement, le patient peut alors y voir la réalité de sa propre valeur. Se retrouver dans une continuité « d'être ».

A t-il peur de tomber? Est ce pour cela que rester allongé est la situation qui lui est la  plus confortable? Toutes les techniques d'enveloppement sont bienvenues, y compris le simple fait de border le patient. Le rétablissement de l'intégrité corporelle est une priorité. C'est de cette base qu'il partira pour construire son projet de vie.

 

Que faire avec un patient qui parle sans arrêt.

 

 Investir un patient qui ne peut pas s'arrêter de parler est très couteux. En effet il est dans une inertie contagieuse.  Il nous faut absolument préserver notre intégrité de pensée. Pour cela prêtons attention à nos supports proprioceptifs et à notre respiration. Ensuite disponible à nouveau, nous pouvons solliciter notre intuition sur le sens implicite contenu  dans l'expression non verbale et verbale du patient.

Il est possible que la personne ait perdu le fil de sa propre élaboration de pensée. Elle peut se sentir d'un coup soulagée, quand nous lui proposons une tentative de décodage de ce que nous percevons.

Contenant ainsi  son discours pour lui en rendre le contenu assimilable.

Il m'apparait alors que le processus s'avoisine à la « fonction des rêveries maternelles « de W Bion :

Si ce qu’on lui restitue est juste pour lui, le patient l’intègre et le métabolise. Le Nestour et Danon (2002)l’ explicitent dans un contexte  clinique différent.

 

Autre approche, celle de  Feil (2005), elle  nous invite à interroger le patient sur le souvenir qu'il raconte.  Afin d'en permettre l'enrichissement perceptif et de faire apparaître ce qui était latent  dans le vécu du patient. Cette manière de procéder pourrait soulager le patient, dans le sens ou il ne se sentirait plus seul pris dans ses souvenirs. Comme ils les partage ceux- ci ont une valeur: celle de la transmission.

 

Enfin dans un abord plus corporel, nous pouvons imaginer:

Des exercices ritualisés que le patient peut  investir séance après séance.

De travailler dans un lieu riche de perceptions possibles : parc , jardin….. 

Des enveloppements et des emboitements Lesage peuvent être adaptés.

 

CONCLUSION

 

Pour se sentir mieux le patient  dit « dément » a besoin d'une relation spécifique qui l'aide à se retrouver.

Dès que le corps est réinvesti la personne trouve une base de soutien puis un contenant  suffisamment sécurisant pour se poser.

Alors l'intégrité et l'équilibre psychomoteur se reconstituent pour autoriser l'ouverture d'un chemin de vie de qualité.

Muni du sens de sa valeur, notre aîné peut enfin accéder s’il le souhaite au travail du vieillir.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

       Messy , J.(2002) La personne âgée n'existe pas.  Paris: Payot

       Breton, D.( 2006 ) L'anthropologie de la douleur . Paris: Poche

       Lesage , B.(2006 ) La danse dans le processus Thérapeutique. Toulouse:Eres

       Cyrulnyk , B.  (2000 ) Les nourritures Affectives. Paris: Poche

       Zweig, S. (1991 ) Le joueur d’échec. Paris: Poche

       Bullinger, A.  (2004 ) Le développement sensori-moteur et ses avatars. Toulouse: Eres

       Winnicott , D. (1975 ) Jeux et réalité. Paris: Gallimard

       Le Nestour, A. et  Danon , G.(2002). Des vêcus corporels primitifs à l’intégration somato- psychique. revue enfance et psy, 20,  13 - 24.

       Feil, N. (2005) La validation mode d’emploi. Rueil Malmaison: Lamarre

       Stern, D.  (2004 ) Le journal d’un bébé.  Paris:Odile Jacob

       Personne, M.  (2009 ) La psychogériatrie en mouvement. Paris: Eres 

       Ponton, G. (2001) la chute chez les personnes âgées. Ivry sur seine: Snup (formation)

 

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